04 décembre 2007

Efforts et emotions extrêmes

Merci à Stéphanie pour son récit de la SaintéLyon 2007, la doyenne des trails nocturnes : 69kms de nuit entre Saint-Etienne et Lyon (qui a dit que St Etienne, de toutes façons, c'est plus joli la nuit ?)

"Je me suis inscrite un peu à l'arrache en partant pour faire un relais. Et puis je me suis dit, après tout, 69 bornes, je vais pas en mourir, je finirai en marchant.
Ca, c'était avant.
Maintenant, j'ai plutôt un sentiment de saturation, voire de trop-plein psychologique.
C'est assez étrange d'ailleurs car je suis passée par différentes phases de sentiments, sensations un peu difficiles à gérer, exprimer et comprendre.
Pour en revenir au parcours de la course, donc, hé ben c'est pas facile ;)
Un long moment de bitume de 8 bornes, tu passes par une longue phase de sentiers et chemins boueux où les pierres se détachent du sol et roulent (oui, like a rolling stone ;) ), du coup tes appuis sont imprécis vu qu'il fait nuit (départ à minuit) et tu sollicites tes chevilles.
1° ravito sympa après 16 bornes en autonomie totale, puis tu repars pour 6km de montagnes russes : tu fais de la purée de chevilles et tu ressens aisément la morphologie de tes pieds également.
2° ravito, tu as un semi qui te donne l'impression d'avoir fait un 1/3 de marathon et tu repars encore vaillant. Plus pour très longtemps parce que là, tu ne vois qu'une chose : 10 cm devant tes pieds et tu essaies d'anticiper les pierres, les flaques (pied droit dedans, ça porte pas bonheur vers le 25ème) et les pics des marcheurs. A l'occasion, tu décimes les premiers plans des cultivateurs parce que c'est plus facile de courir dans leurs champs.
3°et 4° ravito, super vigilante et concentrée.
Au 5° ravito, j'ai dit à mes deux potes de partir devant parce que j'allais les plomber vu que j'étais rincée : 36ème km, tu dois connaître ça en tant que marathonien.
Je repars assez fluide dans la descente mais 12 bornes entre le 5° et le 6° c'est super dur à gérer : tellement que j'ai demandé à des personnes que j'ai doublées (oui, j'en ai doublées) si par hasard, le ravito n'avait pas été supprimé :) t'imagines ?
Chaque foulée était difficile car les descentes m'avaient bouffées les quadriceps donc, le 6° ravito a sonné l'air de la délivrance pour moi car au moins j'étais sur du bitume.
J'en avais assez de dépenser de l'énergie à regarder à 5 mètres devant moi et à rouler plus qu'à courir. Surtout que là, il faisait jour, enfin!

J'arrive au ravito : 2 mecs en couverture de survie, des personnes qui avaient du mal à repartir et un volontaire qui me dit :
"Madame, va falloir penser à abandonner, vous êtes en mauvais état, surtout qu'il vous reste 4h encore à faire", le seul mot qui est sorti de ma bouche c'est "jamais!"
Alors le gars me dit, comme si ça allait changer qqchose de me faire la morale à 12 de l'arrivée : "oui, c'est ça, pour y rester sur la ligne d'arrivée?"
Je lui ai montré mon polar et je lui ai dit que je l'avais paramétré pour claquer dans les vestiaires :D
Après, 24 % de dénivelé sur 1 borne. Je me souviens d'avoir tapé sur le panneau indicateur de Lyon, de m'être relancée en me disant : "écoute, t'as fait 2 10km déjà[Note de Tit'foulées : deux "70 kils ?"], c'est pas celui-ci que tu vas rater", ça a tenu 2 bornes :) j'ai marché très longtemps, pendant 6km j'étais au fond du trou, désespoir absolu, constat d'échec sur ma vie, sensation d'usure et de lassitude. chaque km était un calvaire et puis j'ai vu "Arrivée : 1km" et j'ai commencé à compter mes pas, puis j'ai vu la ligne et à partir de là, j'ai recommencé à courir, allonger la foulée et à sprinter.

J'ai pris mon Tshirt de finisher, un verre de coca, me suis changée à l'entrée du gymnase car je ne pouvais pas descendre les escaliers et hop, gare.
Je me suis acheté un sandoc et pouf, plus personne : dans les vapes. je me suis relevée, ça allait mieux, j'avais surtout froid mais carrément pas faim, donc je me suis forcée à dépasser la nausée.
Train à 14h, réveil à 16h après avoir gobé un ibuprofène. récupération de ma gamine et dodo.
Aujourd'hui, je ne suis pas allée bosser parce qu'il me manquait une nuit de sommeil mais physiquement c'est nickel. Le plus difficile c'est de ne pas plonger dans l'addiction, je n'avais qu'une envie cet après-midi, c'était d'aller décrasser le plus vite possible mais ce n'est pas une bonne idée.
Les 6 bornes de la fin m'ont complètement abattue : c'est comme une crampe, sur le coup t'as mal et tu vois ton muscle se tendre, après ton muscle se détend mais t'as encore mal.
Là, je pense que je suis allée chercher très profondément des réponses à des questions que je me posais, je les ai trouvées et il me faut du temps pour les accepter parce qu'elles ne sont pas sympathiques à entendre. Je m'étais inscrite aussi pour ça. Je pense que je m'étais assez préparée à la douleur, pas assez à la technicité du parcours et carrément pas à l'aspect psychologique."